Une enfance pendant la guerre

Il y avait, bien sûr, le côté guerre proprement dit.

Naturellement, nous n’avons pas connu la débâcle ni les terribles bombardements qui, en France, anéantirent des villes entières. Nous n’avions aucun soupçons de ce que pouvaient être les camps de concentration et l’extermination des juifs, mais nous sentions bien que c’était la guerre.

Presque chaque jour des convois naval alliés passaient au large des côtes et, très souvent ils étaient bombardés. Nous avions fini par en prendre l’habitude et nous ne nous émouvions pas trop jusqu’au jour où une bombe s’égara sur Guyotville et tomba près du stade. Ce fut la panique générale. Je me revois encore, en larmes, cramponnée à la robe de Guigui. J’avais l’impression que c’était la fin du monde !

Ce soir là nous nous sommes réfugiés chez la propriétaire qui habitait en sous-sol. C’était un abri beaucoup plus sûr que la maison. Quand tout fut terminé, j’ai eu honte de mon comportement, et ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé que je n’avais que dix ans après tout.

Un soir, nous avons assisté à un spectacle que je n’ai jamais oublié : nous étions dans la véranda et nous avons vu un avion allemand pris dans un faisceau de projecteurs. C’était terrible parce qu’on voyait bien qu’il n’avait aucune chance. L’étau se resserrait petit à petit. Avec l’intransigeance de mes dix ans je trouvais que c’était une manière particulièrement odieuse et malhonnête de faire le guerre. Quelque fois encore, quand j’entend un bruit d’avion dans la nuit, je frémis en pensant à cette soirée.

Il y a eu aussi le jour où nous avons assisté à l’agonie d’un grand pétrolier qui avait été incendié et a brûlé pendant 24 heures. Je ne sais toujours pas si il y a eu des victimes ni combien. C’était la guerre…C’est affreux de penser que certains événements n’étonnaient plus personnes… Un peu tout de même : je me souviens que j’avais le cœur serré en contemplant cet énorme bateau si près ces côtes et pour lequel, apparemment, personne ne pouvait rien.

Noël 1943 ne fut pas trop triste malgré tout. Chacun eu une orange dans son soulier, plus un petit calendrier en liège pour Babeth. Pour les autres ? je n’ai aucun souvenirs. Je me demande d’ailleurs pour quelles raisons ce calendrier nous a produit un tel effet. Je le revois encore très bien : le fond était orange et les chiffres, noirs.

Mais nous n’étions pas malheureux, loin de là ! Nous avions beaucoup d’amis dans les environs, et tout particulièrement, les Barbé et les Basset dont les parents étaient les amis des nôtres. Avec Alain Basset (qui devait avoir 17 ans) nous fabriquions de petites voitures en terre glaise, dont les roues étaient découpées dans des bouchons de liège. Je pense que c’était Alain qui faisait tout le travail, mais nous, nous étions persuadés que nous l’aidions beaucoup.

Guyotville "La petit plage près de la maison".

Les parents nous laissaient une liberté dont nous n’abusions pas trop…seulement les quelques fois où Babeth et moi sommes montées sur le toit de la maison en passant par le petit toit de la cuisine. Ces expéditions sont liées pour moi au " Petit Prince ". peut être est-ce tout simplement parce que c’est justement après l’une d’elle que Guigui m’a donné le " Petit Prince " en hommage, je crois, à Saint-Exupéry qui venait de disparaître en mer.

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